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Un pari fou !
Le "spectacle" s'est
déroulé en 1895 ou 1896, au cours du mois de
mars. L'hiver avait été d'une rigueur
exemplaire, le thermomètre oscillant entre -18°
et - 22°. Depuis plusieurs jours, la Seine
charriait des glaçons qui se heurtaient, se
chevauchaient, se soudaient les uns aux autres,
augmentant leur superficie et leur épaisseur,
pour former alors un plancher glaciaire
solidement accroché et bandé sur les deux rives,
alors que le fleuve, invisible sous la glace,
continuait de couler sans complexe dans sa
course à la mer.
Dans l'île, face à la vieille église de la
Grande-Rue, se dressait l'établissement appelé "
La Grenouillère ", une guinguette célèbre. Elle
était tenue par le couple Saintard.
Le seul moyen de s'y rendre, pour le plaisir ou
pour le ravitaillement, était la barque à rames.
Dans l'état actuel de la Seine, elle était donc
complètement isolée, dans une situation tragique
de ravitaillement impossible.
C'est alors que devant un comptoir de bistrot,
une rencontre fortuite mit face à face Saintard
et le charbonnier du village Bonneau. Devant un
parterre de clients attentifs, Bonneau fit le
pari de livrer du charbon à la porte de la
Grenouillère, Saintard le mit au défi. Les
clients étaient stupéfaits et bavards. La
nouvelle se répandit comme une traînée de
poudre.
A l'heure fixée. la berge
était noire de monde, Bonneau était exact au
rendez-vous, avec son haquet chargé de 4 sacs de
charbon, attelé de son cheval Bibi !
Posément, impassible, le
bougnat s'engage sur la pente de l'embarcadère
et fit le pas fatidique sur le domaine polaire.
Il saisit la bride du cheval pour le guider et
lui éviter les contacts brutaux avec les glaçons
proéminents. La marche en zig-zags est lente,
prudente, mais résolue. L'angoisse est dans
l'air, c'est le silence oppressant dans la
crainte d'une brisure qui enverrait les
téméraires par le fond dans l’abîme.
Et c'est le soupir de
soulagement ! Comme un bon bougre qui fait bien
son boulot, Bonneau arrive à bon port, décharge
sa marchandise, souffle dans ses doigts
engourdis et revient sagement, imperturbable,
vers la foule enthousiasmée qui fait éclater sa
joie dans une ovation sans pareille.
Il y a plus de 80 ans que
l'événement incroyable a eu lieu. Il ne se
reproduira jamais plus.
Extrait
d'un texte de D. Malfanti
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